lundi 9 décembre 2019

San Babila : Un crime inutile - 1976 - Carlo LIZZANI


De la fin des 60's jusqu'au début des 80's, l'Italie subit une vague de violence politique, connue sous le nom d'Années de Plomb, qui voyait s'affronter extrémistes de Droite et de Gauche. Attentats à la bombe, fusillades, braquages de banques ou enlèvements se succédaient quasi-quotidiennement. Ce climat tendu, où la Péninsule risquait de sombrer dans une situation de guerre civile trouva une traduction au cinéma, notamment via les poliziottesco, ces fameux néo-polar où les flics ultra-violents devenaient le symbole d'un état à la dérive.

San Babila : Un crime inutile s’inscrit dans ce contexte. Le film, qui s'inspire d'un fait divers, retrace la journée de quatre jeunes néo-fascistes milanais. Entre bagarres avec les communistes, défilé au pas de l'oie ou tentative de plastiquage d'un local syndical, on suit leurs pérégrinations autour de la Place de San Babila qui constitue leur fief. D'origines diverses, fils de bourgeois ou employé modeste, ils draguent lourdement les filles, s'exercent au tir, taguent des croix gammées sur les boutiques des commerçants juifs. Loin d'être le fer de lance d'une élite phalagangiste, ils se comportent avant tout comme des voyous et sont assez éloignés du militantisme: à aucune moment ils ne parlent réellement d'idéologie ou d'action politique, ils pensent surtout à montrer qu'ils en ont une bonne paire!

D'un point de vue purement cinématographique, le film n'a rien d'exceptionnel. La mise en scène est carrée et efficace, notamment dans les séquences d'action, mais n'invente rien. Carlo LIZZANI a surtout cherché le réalisme en filmant sur les lieux même du drame. Certaines séquences sont authentiques (le défile syndical est une vraie manifestation) ou reconstituées dans des circonstances réelles (le défilé des jeunes fascistes se déroule au milieu d'une foule d'anonymes passants qui n'étaient pas prévenus du tournage). L'interprétation est excellente: les acteurs, dont il s'agit pour certains de leur seul et unique rôle, sont totalement crédibles dans leurs rôles d'apprentis-squadristes. L'excellent musique, à forte tonalité martiale, est signée par l'immense Ennio MORRICONE, dont on réduit trop souvent l’œuvre aux morceaux d'harmonicas et de banjos des films de LEONE.

Mais si San Babila : Un crime inutile est une plongée dans l'univers des jeunes nervis de l'extrème-droite italienne, le film a su éviter l'écueil de la fascination. A aucun moment LIZZANI ne crée la moindre empathie pour ces jeunes "héros". Il donne des pistes pour expliquer leur comportement (jalousie de classe, situation familiale, paresse intellectuelle...) mais ne cherche jamais à les excuser. LIZZANI a parfaitement compris que, dans les démocraties occidentales, la violence politique constitue un impasse et qu'elle ne pourrait mener ses auteurs ailleurs que dans le mur. Certes l'Italie des années 70 avait des défauts, mais le système politique, la liberté d'expression et la Justice ne marchaient pas si mal, ce qui a permis au pays de ne pas sombrer dans la chaos. Alors que de nos jours, bon nombre de journalistes, de politiques ou d'intellectuels français éprouvent une fascination à peine dissimulée pour l'action révolutionnaire, LIZZANI montre que celle-ci est surtout l’œuvre d'individus plus attirés par le goût de la bagarre que par une quelconque conscience politique.

Un film à la fois très marqué par son époque et au discours très actuel!










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